Pourquoi la sécurité psychologique est-elle la clé de la créativité et de l’innovation sur le lieu de travail

La notion de « sécurité psychologique » a récemment suscité l’intérêt de nombreux acteurs du monde des affaires. Mais comment agit-elle sur le fonctionnement de notre cerveau ? En quoi permet-elle de libérer la créativité et l’innovation ? Et que pouvons-nous faire, en tant que dirigeants et managers, pour la mettre en place dans nos organisations ? J’ai récemment eu la chance de recueillir des réponses auprès de Patricia Riddell, professeure en neurosciences appliquées.
Mais tout d’abord, qu’est-ce que la sécurité psychologique ?
Avant d’explorer l’aspect pratique de la sécurité psychologique, il faut comprendre ce qu’elle signifie sur le plan neurologique. Pour Patricia Riddell, tout commence avec le sentiment de sécurité physique. Certaines zones du cerveau (notamment l’amygdale et le cortex cingulaire) nous permettent de rester en alerte face aux dangers physiques. Mais dans le monde moderne où nous ne risquons pas d’être quotidiennement dévorés par un énorme prédateur, ces zones ont été réquisitionnées pour protéger l’identité (et donc le bien-être émotionnel et la conscience de soi). Autrement dit, ce sont les mêmes zones du cerveau qui assurent notre sécurité physique et notre sécurité psychologique.
Dans un cadre professionnel, nous sommes en sécurité psychologique lorsque nous savons que l’on peut venir tels que nous sommes sans que cela ait des conséquences négatives. À ces mots, tout m’est apparu très clair : c’est quand je me sens en sécurité dans un environnement que je peux donner le meilleur de moi-même. Mais en poursuivant mes échanges avec Patricia, j’ai réalisé que c’était bien plus que cela : la sécurité psychologique est d’une importance capitale pour libérer la créativité et l’innovation. J’ai alors pris conscience de l’importance réelle de cette question dans le monde des affaires, en particulier lorsque la mission de la grande majorité des organisations est, d’une certaine manière, axée sur l’innovation et la croissance des activités.
La clé de tout cela réside dans le mot « identité ». Pour Patricia Riddell, l’explication est simple : « Pour être créatif ou proposer une idée nouvelle et utile, vous devez sentir qu’une acceptation est possible, c’est-à-dire que quelqu’un vous écoute. Et si, à ce niveau d’identité, vous avez l’impression que l’on va se moquer de vous ou vous juger, ou que les autres vont dire ’bof, c’est n’importe quoi’, vous ne serez pas en mesure de proposer des idées. »
Par conséquent, le sentiment d’avoir le droit à l’erreur est un élément essentiel de la sécurité psychologique. « Cela donne aux gens la liberté de dire ’Je veux vous dire à quoi je pense à l’instant. C’est peut-être génial, ou complètement nul. Mais peut-on juste en discuter et voir ce que l’on peut en faire ?» C’est ainsi que s’exprime la créativité. Tout le plaisir de la créativité consiste à jeter des idées qui peuvent sembler complètement loufoques au premier abord, puis à réaliser qu’en fait, c’est possible. Que ça peut marcher », explique Patricia. C’est ainsi que se définit l’innovation.
Que se passe-t-il lorsque la sécurité psychologique fait défaut ?
Lorsque je commence à travailler avec les dirigeants d’une organisation, je les entends répéter inlassablement qu’ils ont besoin d’une croissance organique : ils doivent proposer des idées nouvelles et faire progresser leurs activités. Et bien qu’ils souhaitent que leurs collaborateurs changent leur façon de penser, ce processus est souvent bloqué par un manque de sécurité psychologique. Dans beaucoup de secteurs traditionnellement « durs » et habitués à éviter les émotions (la finance ou la construction par exemple), on considère parfois la sécurité psychologique comme trop compliquée, trop « douce », ou on l’assimile à une espèce de « blabla psychologique ». Mais comme l’innovation constitue une priorité, je me demande comment il est possible de sortir de cette perception, et quel est le prix à payer quand on ne le fait pas.
J’ai posé la question à Patricia Riddell, et voici sa réponse : « Je pense qu’il est important de comprendre que quand on ne se sent pas en sécurité, on gâche une grande part de son énergie à tenter de protéger son identité au travail. » Certaines personnes vont par exemple travailler en sachant que leur chef se mettra probablement en colère si elles se trompent, ou en doutant de la manière dont l’idée qu’elles ont proposée sera reçue. Dans ce cas, on arrive en sachant déjà que l’on risque de se trouver dans une situation susceptible de déclencher une émotion négative intense. Il faudra de plus ne rien laisser paraître et gaspiller beaucoup d’énergie pour masquer cette émotion. Si cela se répète tous les jours, il ne reste plus d’énergie pour être inventif ou productif.
« Je pense que c’est la raison pour laquelle la sécurité psychologique est si importante. Cela revient à étouffer chez les collaborateurs toutes les ressources qu’ils pourraient autrement utiliser pour se montrer plus créatifs, prendre des risques ou oser quelque chose de différent…. Si on débloque ce frein, on constate que la productivité augmente, que les bonnes idées affluent et que cela libère la créativité », ajoute Patricia.
Par quels moyens pratiques peut-on favoriser la sécurité psychologique et libérer la créativité ?
Maintenant, nous savons de quoi il s’agit et pourquoi c’est important. Mais comment pouvons-nous y contribuer ?
Reconnaître les responsabilités en matière de sécurité psychologique
Selon Patricia Riddell, il est extrêmement important de comprendre où se situe la responsabilité pour apporter une sécurité psychologique : « Nombre d’études ont d’abord porté sur la sécurité psychologique dans les équipes. Au sein d’une équipe, il est clair que l’organisation a un rôle à jouer et que la direction est chargée de mettre en place les conditions nécessaires. Mais attention : vous pouvez créer l’environnent le plus sûr à vos yeux sans que tout le monde s’y sente en sécurité psychologique », explique-t-elle. Patricia m’a fait comprendre qu’en plus de l’organisation et des dirigeants, chaque collaborateur doit veiller à ce que son équipe comprenne ce dont elle a besoin pour se sentir en sécurité psychologique.
Il faut tout d’abord se poser les questions suivantes : « De quoi ai-je besoin pour me sentir en sécurité psychologique ? » ; « Comment puis-je aider l’organisation à me donner ce dont j’ai besoin ? » et « Comment exprimer mon insécurité de façon à obtenir de l’aide ? » Oui, il est temps le lancer ces conversations, certes inconfortables mais très révélatrices. Patricia Riddell conseille aux managers de se réunir avec leur équipe et de demander à chaque collaborateur de faire part de ses réflexions pour apporter un soutien mutuel. Vous trouvez cela effrayant ? Oui. Mais cela permet de libérer la créativité, car les gens ne consacrent plus toute leur énergie à protéger leur identité et à réprimer leurs idées par crainte d’une agression psychologique.
Écouter. Écouter vraiment.
Je pense que nous sommes tous de formidables détecteurs de mensonges : lorsque nous ne sommes pas écoutés, nous le savons. De ce fait, notre attention est intériorisée pour protéger notre statut et notre ego. Écouter signifie être ouvert à ce que l’autre a à dire, et faire des commentaires constructifs et des critiques respectueuses. Au début d’un projet, les responsables d’équipe doivent fixer des règles de base claires concernant l’écoute d’autrui, en remerciant tous les collaborateurs pour leur contribution et en proposant différentes façons de s’inspirer des idées des autres. Car il n’y a pas de mauvaises idées.
Acceptez les risques inhérents à la créativité
Fournir un environnement psychologiquement sûr qui permet aux individus de laisser libre cours à leur créativité, c’est aussi accepter les idées risquées. Cette peur du risque peut empêcher certaines organisations d’intégrer pleinement la sécurité psychologique, mais selon Patricia Riddell, tout est une question d’acceptation et de planification : « Je pense que les organisations doivent accepter le fait que parfois, les choses ne se passent pas bien, mais que ce n’est pas si grave… Les neurosciences nous enseignent notamment qu’il est absolument nécessaire de se sentir suffisamment en confiance pour suivre son instinct et agir spontanément. Mais au moment de passer à l’action, essayez de réfléchir aux mesures que vous pouvez mettre en place pour évaluer cette idée. Le risque zéro n’existe pas, il est donc inutile de dire : ’c’est trop risqué de faire ça’. Mieux vaut dire : ’Bien, puisqu’il y a un risque, que pouvons-nous faire pour être sûrs de le maîtriser et éviter les conséquences fâcheuses si la décision s’avère mauvaise ?’ », précise Patricia. Ce processus permet aux organisations et aux leaders de bénéficier d’une plus grande sécurité psychologique et de pouvoir offrir la même liberté à leurs salariés.
Pour résumer…
- Sur le plan des neurosciences, il est clair que la créativité et l’innovation ne sont pas possibles sans sécurité psychologique. Les dirigeants doivent donc en toute logique s’y intéresser et la placer en tête de leurs priorités.
- Les leaders doivent comprendre que la créativité et l’innovation peuvent être entravées par un fort instinct de protection de l’identité lié à un sentiment d’insécurité (le même que celui qui s’exprime en cas de danger physique).
- Permettre à vos collaborateurs de partager et d’exprimer ce dont ils ont besoin pour se sentir en sécurité est indispensable pour pouvoir déterminer avec précision comment mettre en place un environnement qui favorise la créativité et l’innovation.
- Les dirigeants doivent créer un environnement où chacun comprend et adopte les mêmes valeurs et les mêmes règles d’écoute, de partage et de respect.
- Acceptez le fait que le risque est inévitable, et que ce n’est pas grave : chacun se sentira libre de proposer des idées et de les concrétiser. Agissez avec confiance en mettant en place des mesures d’atténuation des échecs éventuels avant qu’ils ne surviennent.